12094

Développer la reverse logistique grâce au software

Temps de lecture 9 min.
Posté le 26.11.24
Investissement Mobility Insights

Vincent CABANEL, Associate chez Via ID

Les individus sont de plus en plus attentifs à leurs choix en matière de consommation, c’est pourquoi les entreprises sont contraintes d’élever leur niveau de jeu en matière de standards de durabilité. Il apparaît que chaque société a désormais l’impératif de mettre en avant sa stratégie ESG (Environnement, Sociétal, Gouvernance) et impact, pensez au nombre d’entreprises qui mentionnent “vert” ou “durable” dans leurs publicités. Alors que les “annonces de durabilité” augmentent, ce n’est pas en raison du fait que les sociétés tendent vers un but non lucratif, elles répondent à une demande croissante de produits prenant en compte les considérations ESG, avec en tête la durabilité, la repérabilité et des émissions carbone mesurables. En plus de pressions réglementaires, les sociétés sont également motivées par le fait d’améliorer leur processus de reverse logistique afin d’améliorer leur image de marque.
Selon un sondage réalisé en 2021 par IBM et la National Retail Federation, environ 70% des consommateurs aux USA et au Canada sont prêts à payer un premium pour des produits provenant de marques perçues comme étant durables.

70 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) proviennent de l’extraction et de l’utilisation des matières premières, alors que seulement 7,2 % des matériaux utilisés sont réintégrés dans nos économies. L’économie circulaire est donc essentielle pour lutter contre le changement climatique, avec un potentiel de réduction des émissions de GES de 40 % d’ici 2050.

Concrètement, l’économie circulaire s’oppose à l’économie linéaire (produire-utiliser-jeter). Elle repose sur le partage, la location, la réutilisation, la réparation, la remise à neuf et le recyclage des matériaux et produits existants aussi longtemps que possible. L’objectif est de minimiser les déchets au maximum.

Dans le domaine de la mobilité, la transition vers les véhicules électriques (VE) est indéniable. Bien que ces véhicules soient qualifiés de « propres » (leurs émissions dépendent principalement de la source d’électricité), leur fabrication, notamment celle des batteries, reste fortement émettrice de carbone à ce stade de production (60 % des émissions de GES pour la production de batteries, en grande partie à cause des matériaux nécessaires). L’empreinte carbone des matériaux recyclés pour batteries est, quant à elle, quatre fois inférieure à celle des matériaux extraits de sources primaires.

Après utilisation ou pour réparation, les produits, composants et matériaux doivent être transportés. Dans le cas des batteries de VE, leur recyclage à grande échelle industrielle nécessite une collecte et un recyclage optimisés grâce à une sélection qualitative et efficace des matériaux usagés, ainsi qu’à une reverse logistique performante.

La reverse logistique, dans le cadre de l’économie circulaire, désigne le processus de collecte et d’agrégation des produits, composants ou matériaux en fin de vie en vue de leur réutilisation, réparation, recyclage ou retour. Les données jouent un rôle clé dans la mise en place de modèles de chaîne d’approvisionnement circulaire efficaces et rentables.

Source : TheCirculars.org

La reverse logistique est un véritable levier de décarbonation : des retours et collectes inefficaces (notamment pour les réparations) entraînent des transports supplémentaires, augmentant ainsi les émissions de carbone en raison des délais prolongés, tout en alourdissant les coûts. Une reverse logistique efficace favorise le développement de produits conçus pour être réparés, reconditionnés, revendus, réutilisés, ou pour fournir des matériaux issus de produits usagés, destinés à des produits ou des activités de seconde vie.

Pour faire évoluer l’économie circulaire grâce au recyclage et à la réparation, la reverse logistique doit également se développer à grande échelle. Les solutions logicielles dédiées à la reverse logistique ne sont pas nouvelles et sont déjà utilisées pour la majorité des opérations. Cependant, il existe un besoin croissant de construire et de développer des « écosystèmes ciblés pour l’économie circulaire » (des boucles fermées entre différents acteurs économiques aux intérêts alignés, avec un haut niveau d’interopérabilité. Pensez à l’exemple d’une boucle d’économie circulaire appliquée à un secteur spécifique, comme la gestion des déchets ou le recyclage des pneus).

Pour faire passer l’économie circulaire à l’échelle, il est indispensable de maîtriser l’approvisionnement en matériaux usagés et d’assurer une couverture géographique adéquate. Le logiciel joue un rôle clé pour y parvenir, car il permet de dépasser les limites physiques. Aujourd’hui, il y a une opportunité majeure de construire des solutions de reverse logistique, pilotées par des logiciels, et axées sur des écosystèmes spécifiques. Explorons !

Les drivers marché : l’image de marque et la réglementation

Les marques qui excellent dans la reverse logistique peuvent se démarquer en mettant en avant leur engagement à réduire les déchets et à contribuer à l’économie circulaire. Par exemple, Patagonia, marque de vêtements de plein air, a bâti une solide réputation autour de sa démarche durable. Avec son programme « Worn Wear », Patagonia encourage ses clients à retourner leurs vêtements usagés, que l’entreprise répare, reconditionne et revend. Cette initiative réduit non seulement les déchets, mais renforce également la position de Patagonia en tant que leader de la mode durable.

Dans ce contexte, de nouveaux modèles économiques basés sur l’économie circulaire (parfois plus rentables que les modèles linéaires) émergent. On peut citer Decathlon avec son offre de location, ou Michelin avec son modèle « Tire-as-a-Service ».

Un autre moteur majeur est la réglementation. L’Union européenne a lancé son Plan d’action pour l’économie circulaire (CEAP) en 2015, visant à réduire la prédominance des modèles linéaires. Ce plan identifie les « batteries et véhicules » comme ayant un fort potentiel de circularité. Cette réglementation s’inscrit dans le cadre du Green Deal européen.

La Directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD) jouera un rôle clé dans la décarbonation des activités des entreprises, en favorisant des opérations et des modèles économiques durables correspondant à leur Scope 1. Entrée en vigueur en janvier 2023, la CSRD prévoit les premiers rapports en janvier 2025, basés sur l’exercice fiscal 2024.

Enfin, la Directive européenne sur les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) oblige les producteurs d’électronique à financer la collecte, le traitement et le recyclage des déchets électroniques. En 2020, l’UE a collecté environ 4,5 millions de tonnes de DEEE, soit un taux de collecte de 45 % des déchets générés. Cette réglementation pousse les fabricants d’électronique à développer des processus de reverse logistique pour gérer le retour et le recyclage de leurs produits, renforçant ainsi les pratiques durables dans l’industrie.

Faire passer la reverse logistique à l’échelle

Bien que la reverse logistique soit cruciale pour l’économie circulaire, elle comporte plusieurs défis pour les entreprises. Mettre en œuvre des processus efficaces nécessite de surmonter des obstacles liés à la complexité des réseaux, aux coûts élevés, et à la qualité et la sécurité des produits retournés. De plus, l’absence de normes standardisées et de systèmes efficaces de gestion des données limite l’efficacité des opérations de reverse logistique.

Les challenges : 

  • Réseaux logistiques complexes

La reverse logistique implique le transport de biens depuis l’utilisateur final vers le fabricant ou un autre point de la chaîne d’approvisionnement. Ce processus est souvent plus complexe que la logistique classique. Les produits doivent être collectés depuis de multiples emplacements, triés, puis transportés vers diverses installations pour inspection, remise à neuf ou recyclage.
Ces opérations peuvent être particulièrement difficiles dans des secteurs où l’empreinte géographique est importante ou la diversité des produits élevée.
Les solutions logicielles permettent de coordonner efficacement tous les acteurs impliqués, simplifiant ainsi les processus complexes.

  • Coûts élevés

Les coûts associés à la reverse logistique sont souvent significatifs. Les entreprises doivent investir dans des infrastructures pour collecter, transporter et traiter les produits retournés, engendrant des frais liés au transport, à la main-d’œuvre, au stockage et au traitement. Dans certains cas, ces coûts peuvent dépasser la valeur récupérée des produits retournés, rendant difficile pour les entreprises de justifier de tels investissements.
Une planification et un routage précis basés sur des données fiables permettent d’atténuer les défis financiers en optimisant l’utilisation des ressources.

  • Qualité et sécurité

Garantir la qualité et la sécurité des produits retournés constitue un autre défi majeur. Les produits remis à neuf ou recyclés doivent répondre aux mêmes normes de qualité et de sécurité que les produits neufs, ce qui peut être complexe, surtout pour les produits techniques ou de haute technologie.
Les entreprises doivent mettre en place des processus rigoureux d’inspection et de tests. Une transparence accrue dans l’écosystème, grâce à une plateforme dédiée partageant les standards de qualité, permet d’aligner plus efficacement les parties prenantes et de répondre aux attentes des consommateurs.

Les innovations technologiques améliorant la reverse logistique

Les avancées technologiques jouent un rôle clé dans la résolution des défis liés à la reverse logistique. Les solutions logicielles permettent aux entreprises de rationaliser leurs processus, d’optimiser l’allocation des ressources et d’obtenir une visibilité sur le cycle de vie de leurs produits. Ces innovations se manifestent particulièrement dans plusieurs segments de l’écosystème des startups de la mobilité.

L’industrie automobile, notamment le secteur des véhicules électriques, fait face à des défis importants liés à la reverse logistique, notamment pour le recyclage des batteries. Ces batteries contiennent des matériaux précieux comme le lithium, le cobalt et le nickel, qui peuvent être récupérés et réutilisés. Cependant, leur collecte, transport et recyclage sont des processus complexes nécessitant des systèmes robustes.
Basée à Londres, Circulor propose des solutions de traçabilité pour développer des chaînes d’approvisionnement durables et des modèles économiques circulaires. Sa technologie connecte tous les acteurs de la chaîne, de l’amont à l’aval, offrant une visibilité en temps réel pour améliorer les performances, suivre l’empreinte carbone et garantir la conformité aux réglementations. Son activité principale se concentre sur les métaux et minéraux utilisés dans les batteries, les énergies renouvelables et la construction. Circulor utilise la blockchain et l’IA pour fournir des données de traçabilité et créer des boucles fermées pour le recyclage des batteries. Parmi ses clients figurent Jaguar Land Rover et Volvo.

Avec l’essor du commerce en ligne, les retours de produits ont considérablement augmenté. Selon un rapport de la National Retail Federation, les consommateurs américains ont retourné environ 428 milliards de dollars de marchandises en 2020, représentant 10,6 % des ventes au détail totales. Une gestion efficace de ces retours est cruciale pour réduire les déchets et améliorer la rentabilité.
Rever aide les détaillants à optimiser leurs processus de reverse logistique en simplifiant la gestion complexe des retours pour les boutiques en ligne. Face aux coûts élevés, certaines marques, comme Inditex, facturent désormais les retours. Rever propose des alternatives au remboursement intégral et offre des paiements instantanés aux clients, éliminant les délais habituels de deux semaines.
La plateforme inclut des fonctionnalités telles que la création d’ordres logistiques (intégrée aux transporteurs), l’administration des douanes, l’analyse de données et l’étude des tendances d’achat.

L’industrie de la mode est l’une des principales sources de déchets mondiaux, avec des millions de tonnes de vêtements finissant chaque année dans des décharges. Les startups innovantes utilisent des logiciels de reverse logistique pour gérer la collecte et le recyclage des textiles, dans un modèle appelé « take-back-as-a-service ».
Fondée en 2022, Supercircle est une startup américaine qui collabore avec plus de 50 marques (dont Parachute, J.Crew et Reformation) et 30 partenaires de recyclage. En 18 mois, elle a détourné plus de deux millions de vêtements des décharges. SuperCircle aide les marques à lancer et gérer des programmes de reprise, permettant aux clients de renvoyer des vêtements usagés en échange de récompenses.
Les vêtements collectés sont envoyés à une installation de recyclage à Las Vegas, où les éléments non textiles (comme les boutons) sont retirés. Les textiles sont ensuite triés par type de fibre et envoyés à des partenaires de recyclage. Chaque article est suivi, permettant aux marques de connaître son impact environnemental et la performance de leur programme de reprise.

Le secteur de la construction génère une quantité importante de déchets, dont une grande partie pourrait être recyclée ou réutilisée. Cependant, la déconstruction des bâtiments et la récupération des matériaux sont des processus complexes qui nécessitent une reverse logistique efficace.
Basée aux Pays-Bas, GeoFluxus est une plateforme unique qui cartographie, analyse et anticipe les flux de matériaux pour éviter qu’ils ne deviennent des déchets. Son objectif est d’éliminer la notion même de déchet. La startup aide les entreprises à devenir plus durables en gérant leur utilisation et leur élimination des ressources. Les informations analytiques et les alternatives proposées facilitent la prise de décisions sur la gestion et l’approvisionnement de la chaîne logistique.

L’opportunité

La dynamique autour de la reverse logistique dans l’économie circulaire s’intensifie, portée par la convergence des exigences réglementaires, du reporting en matière de durabilité et de la maturité technologique. Les entreprises sont de plus en plus incitées à réduire leurs déchets et à renforcer leurs efforts de durabilité. La reverse logistique n’est donc plus seulement une contrainte réglementaire, mais devient un impératif stratégique.

À mesure que l’économie circulaire gagne en importance, les entreprises découvrent des sources de revenus inédites grâce à la reverse logistique. En récupérant et en réutilisant produits et matériaux, elles peuvent réduire leurs coûts, développer de nouveaux produits et explorer de nouveaux marchés.

Le marché mondial des appareils électroniques reconditionnés devrait atteindre 44,1 milliards de dollars d’ici 2027, soutenu par une demande croissante de produits durables et abordables.

Pour capter la valeur d’un marché en pleine croissance, les produits logiciels de reverse logistique devront répondre à plusieurs exigences clés :

  • Partenariats solides et collaboration
    Les solutions devront aligner les intérêts de différents acteurs économiques, notamment les fabricants, les détaillants, les prestataires logistiques, les recycleurs et les consommateurs. La création de partenariats solides fondés sur des objectifs communs de durabilité sera cruciale.
  • Interopérabilité, traçabilité et standardisation
    Les systèmes doivent pouvoir échanger facilement des données, suivre les actifs de manière avancée et communiquer en temps réel, quelles que soient les technologies utilisées par les différents participants. Des standards devront être établis pour des éléments tels que les formats de données, l’étiquetage, les procédures de manutention et les contrôles qualité.
  • Automatisation et efficacité
    L’automatisation sera essentielle pour rationaliser les processus de reverse logistique, tels que le tri, le traitement et la gestion des stocks. Les systèmes automatisés permettront d’identifier rapidement la meilleure solution pour les biens retournés, qu’il s’agisse de réparation, de recyclage ou d’élimination, facilitant ainsi l’extension des opérations.
  • Métriques de durabilité
    La mise en place de métriques claires et de mécanismes de reporting pour suivre et communiquer l’impact environnemental des activités de reverse logistique sera fondamentale. Ces métriques incluront la réduction des émissions de carbone, les taux de récupération des matériaux et la diversion des déchets des décharges. Cela renforcera la confiance des parties prenantes et des consommateurs.

Le développement de la reverse logistique dans l’économie circulaire représente une opportunité majeure pour les entreprises. En tirant parti de partenariats solides, d’une interopérabilité avancée, de l’automatisation et de métriques de durabilité bien définies, elles peuvent non seulement se conformer aux réglementations, mais également générer de nouvelles sources de revenus et renforcer leur position stratégique.

Vincent CABANEL, Associate chez Via ID