Paul de Lauriston, VC Analyst chez Via ID
Réemploi dans l’automobile : un potentiel évident, mais un modèle encore flou. Angle mort du secteur pendant de nombreuses années, la filière se structure peu à peu, mais le chantier reste vaste pour transformer le modèle linéaire traditionnel.
En France, près de 1,5 million de véhicules hors d’usage (VHU) sont pris en charge chaque année par les centres agréés, générant plus de 50 000 tonnes de composants. Dans un contexte où la décarbonation de la chaîne de valeur et la préservation des ressources deviennent des priorités, l’économie circulaire s’impose comme une alternative clé au modèle linéaire traditionnel. Elle intervient à toutes les étapes du cycle de vie des véhicules : dès la conception, en intégrant des matériaux bio-sourcés, recyclés et en anticipant leur seconde vie, jusqu’à leur fin d’exploitation, en favorisant le réemploi, la réparation et le recyclage.
Parmi les leviers de cette transformation, le réemploi des pièces occupe une place stratégique, notamment lorsque la réparation des composants endommagés n’est plus envisageable. L’utilisation de pièces issues de l’économie circulaire (PIEC) permet ainsi de réduire la dépendance aux pièces neuves, avec des bénéfices environnementaux et économiques significatifs. Pourtant, bien que cette pratique existe depuis plusieurs décennies dans le secteur de la réparation automobile, son adoption reste marginale en France. En 2024, à peine 5 % des pièces remplacées proviennent de l’économie circulaire, un retard attribuable à des freins aussi bien structurels que culturels.
Le développement des PIEC pourrait pourtant jouer un rôle clé dans la transition vers une mobilité plus durable tout en contribuant à la maîtrise des coûts de réparation, un enjeu majeur dans un contexte d’inflation. Moins coûteuses (entre 40 % et 70 % moins chères qu’une pièce neuve), elles constituent un levier de décarbonation pour l’ensemble des acteurs de l’écosystème – assureurs, concessionnaires, ateliers de réparation, constructeurs et gestionnaires de flottes.
Cependant, l’écosystème du réemploi en France reste sous-développé, comme en témoigne le faible taux de récupération des pièces lors du recyclage des VHU. D’après l’Observatoire annuel des sinistres collision 2023 du SRA (Sécurité et Réparation Automobiles), chaque carcasse de véhicule permet en moyenne de récupérer 12 à 15 pièces en France, contre 60 en Suède et jusqu’à 120 aux États-Unis, leader incontesté en la matière. Ces écarts illustrent à la fois un retard et un potentiel considérable encore inexploité.
Dès lors, quels sont les freins qui entravent aujourd’hui le développement des PIEC en France ? Et quels leviers permettraient leur adoption à grande échelle, alors même qu’elles sont disponibles en quantité dans les centres VHU ?
Cette étude explore cette question, en analysant les obstacles structurels et les opportunités qui pourraient accélérer leur adoption.
La PIEC : au coeur de la mutation du marché de la réparation automobile
Dans un contexte réglementaire national et européen exigeant des solutions de réparation décarbonées, et face à l’inflation des coûts de réparation, les pièces issues de l’économie circulaire suscitent un intérêt grandissant.
Comprendre la PIEC : nature et typologies
Avant d’approfondir le sujet, il convient de préciser les différentes appellations des sous-catégories de pièces. En effet, la diversité des termes employés dans le secteur, ainsi que leur reprise par les médias – tels que pièce issue de l’économie circulaire (PIEC), échange standard ou pièce d’occasion – peuvent engendrer des ambiguïtés.
Le décret du 30 mai 2016 sur les PIEC définit la notion de pièce de réemploi comme « les composants et éléments qui sont commercialisés par les centres de traitement de véhicules hors d’usage (VHU) agréés (…) après avoir été préparés en vue de leur réutilisation au sens des dispositions de l’article L. 541-1-1 de ce code ».
Les PIEC sont généralement classées en trois catégories :
- Les pièces d’occasion : directement extraites des VHU, ces pièces sont nettoyées, inspectées et commercialisées par les centres VHU agréés selon le Code de l’Environnement.
- Les pièces réparées ou reconditionnées : ces pièces, qui peuvent être endommagées, sont remises en état par des professionnels, selon les exigences de qualité du code de la consommation (Art. R 122-4). Ces pièces sont souvent directement traitées, testées, nettoyées dans les centres VHU et font l’objet d’une garantie légale de 24 mois.
- Les pièces remanufacturées ou échange standard : ces pièces passent par un processus industriel complexe pour être démontées, restaurées et réassemblées afin de recréer une pièce fonctionnelle quasi-neuve. Ces opérations sont souvent effectuées par les constructeurs qui développent des filières de remanufacturing (Renault, Stellantis…) ou par des entreprises spécialisées de toute taille dont des équipementiers de premiers plans (Valeo, Bosch…). Ces pièces bénéficient de la même garantie que la pièce neuve.
Un contexte réglementaire et économique qui stimule le recours aux pièces issues de l’économie circulaire
1. Une pression réglementaire croissante en Europe et en France
Les réglementations européennes et françaises exercent une pression croissante sur la filière des VHU, avec des objectifs ambitieux en matière de réutilisation, de recyclage et de valorisation. La Directive européenne 2000/53/CE, adoptée en 2000, est la première à établir des objectifs chiffrés : depuis le 1er janvier 2015, les centres VHU et les broyeurs doivent atteindre un taux minimum de 85 % de recyclage de la masse moyenne des véhicules, et une valorisation (de matière ou énergétique) à hauteur de 95 %.
La première directive a récemment été révisée pour renforcer l’économie circulaire. Une proposition de règlement de juillet 2023 introduit plusieurs changements majeurs, notamment une meilleure intégration de l’éco-conception, avec l’obligation d’utiliser 25 % de plastique recyclé dans les véhicules neufs, dont 25 % provenant des véhicules hors d’usage. Elle améliore également le recyclage des matières premières et renforce les contrôles pour garantir la conformité des constructeurs à leurs engagements dans le cadre de leur Responsabilité Élargie des Producteurs (REP). De plus, cette révision élargit les engagements aux motos, camions et autobus. La proposition doit encore être examinée par le Parlement et le Conseil de l’UE.
En France, les VHU sont strictement encadrés par les articles R. 543-153 à R. 543-171 du Code de l’environnement. Ces textes imposent une prise en charge exclusive par des centres VHU agréés, qui assurent la dépollution, le démontage et la transmission des carcasses aux broyeurs, eux-mêmes agréés, pour recyclage et valorisation.
Ce cadre réglementaire a été successivement renforcé par plusieurs mesures spécifiques :
- Décret n°2009-397 : autorise l’intégration de pièces de réemploi pour l’estimation des réparations, à l’exception des éléments de sécurité.
- Décret n°2016-703 : encadre l’utilisation des pièces issues de l’économie circulaire (PIEC) dans les réparations automobiles, en obligeant les ateliers automobiles à offrir à leurs clients le choix entre une PIEC ou une pièce neuve. Il s’agit d’une obligation d’information, sous peine d’une amende administrative, 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale. Dans les faits, il s’avère que ce décret est peu respecté car les contrôles sont très rares et difficiles à mettre en place.
- Ce décret dispose également des familles de pièces visées :
- Pièces de carrosserie amovibles ;
- Pièces de garnissage intérieur et de sellerie ;
- Vitrages non collés ;
- Pièces d’optique ;
- Pièces mécaniques ou électroniques, à l’exception de celles faisant partie des trains roulants, des éléments de la direction, des organes de freinage, des éléments de liaison au sol qui sont assemblés, soumis à usure mécanique et non démontables.
- Ce décret dispose également des familles de pièces visées :
- Loi AGEC (2020) : intègre la filière VHU dans le modèle des filières à Responsabilité Élargie des Producteurs (REP), afin d’harmoniser les pratiques et d’améliorer le taux de recyclage. Depuis le 1er janvier 2024, les constructeurs automobiles sont tenus d’assurer cette responsabilité en l’exerçant directement via un système individuel agréé par le Ministère de l’Environnement ou en la transférant à un éco-organisme.
- Décret n°2024-823 : étend l’obligation d’information aux véhicules motorisés à deux et trois roues.
À cela s’ajoute la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui redéfinit les obligations de transparence environnementale des entreprises à l’échelle européenne. La CSRD, entrée en vigueur en 2024, remplace la NFRD et impose aux grandes entreprises et PME cotées un reporting extra-financier annuel sur la durabilité. Elle repose sur le principe de double matérialité, où les entreprises doivent rendre compte de l’impact de leurs activités sur l’environnement et la société, et inversement.
Avec la récente proposition Omnibus, son champ d’application est restreint aux entreprises de plus de 1 000 salariés, tout en ouvrant la possibilité d’un reporting volontaire pour les autres. Dès 2025, les entreprises concernées devront quantifier et publier leur empreinte carbone sur l’ensemble des scopes 1, 2 et 3, renforçant ainsi la pression réglementaire sur leur chaîne de valeur.
Les entreprises doivent se conformer aux ESRS (European Sustainability Reporting Standards), introduits par la CSRD, qui standardisent le reporting extra-financier en Europe. Ces normes couvrent trois domaines : environnement, social et gouvernance.
L’ESRS E5 sur l’économie circulaire demande aux entreprises de rendre compte de leur gestion des ressources, de la réduction des déchets, et de l’adoption de modèles circulaires. Pour l’aftermarket automobile, cela inclut la réutilisation et le recyclage des pièces, et la mise en place de politiques pour minimiser l’impact environnemental. Cela pousse les acteurs du secteur à adopter des pratiques durables et à rendre compte de leur performance en matière de circularité.
Cette évolution présente un impact direct sur le marché des PIEC. En effet, pour réduire leurs émissions de scope 3 – qui incluent l’impact carbone des pièces et composants utilisés – les concessionnaires, assureurs et réparateurs automobiles ont tout intérêt à privilégier des solutions à moindre impact environnemental. Selon Julien Dubois, président de la filière Reman (pour remanufacturing) de Mobilians, cette évolution est un véritable « game changer » pour le marché de la PIEC.
2. Un contexte économique favorable à la PIEC en France
Au cours des dernières années, le coût des réparations automobiles en France a connu une augmentation constante. Selon un rapport du SRA de 2023, le coût global des réparations a grimpé de 26,2 % entre 2019 et 2023, avec une hausse notable de 7 % entre 2022 et 2023. Cette inflation est principalement liée à trois postes majeurs : les ingrédients de peinture, les pièces de rechange et la main-d’œuvre.
Parmi ces postes de dépense, celui des pièces de rechange se démarque par une augmentation annuelle de 6,8 % en moyenne entre 2019 et 2023, représentant en 2023 près de 52 % du coût total des réparations. Face à cette tendance, le rapport souligne l’intérêt économique des PIEC dont le coût peut être jusqu’à 70 % inférieur à celui des pièces neuves.
Cette situation est exacerbée par la complexité croissante des véhicules les plus récents. Les pièces endommagées intègrent désormais des composants technologiques coûteux (capteurs, LED), souvent peu réparables, ce qui alourdit d’autant plus la facture. Dans ce contexte, les PIEC apparaissent comme une solution économique et pertinente pour réduire les coûts de réparation tout en répondant aux enjeux environnementaux.
Source : SRA
Une filière en structuration face aux défis du marché automobile
La filière des VHU doit relever plusieurs défis pour maximiser la valorisation des PIEC. Encore largement artisanaux, les centres VHU souffrent d’un manque d’industrialisation et de digitalisation, limitant la récupération des pièces et leur revente.
Contrairement aux modèles nordiques ou américains, la France peine à structurer un écosystème efficace, freinée par des processus manuels, une distribution fragmentée et une adoption encore timide par les réparateurs. Pourtant des initiatives émergent : automatisation du démontage, marketplaces spécialisées et nouvelles garanties pour renforcer la confiance aussi bien des réparateurs que des automobilistes. L’enjeu est désormais d’accélérer cette transformation pour rendre la PIEC plus accessible, rentable et compétitive face aux pièces neuves.
Un besoin de modernisation et digitalisation des centres VHU
🔴 Le manque d’industrialisation : des volumes de récupération encore trop faibles
La filière VHU souffre d’un déficit d’industrialisation, la majorité des centres opérant encore avec des méthodes artisanales, très manuelles et peu automatisées, qui limitent leur capacité à maximiser la récupération des pièces.
Les processus manuels ralentissent l’extraction, en particulier pour les éléments nécessitant une manipulation précise, comme les capteurs ou les composants électroniques. Comme mentionné précédemment les centres américains parviennent à extraire en moyenne 120 pièces par véhicule, les centres français n’en récupèrent que 12 à 15, données reprises par le Livre Blanc sur la Réparation Durable publié en 2023 par l’assureur Covéa (GMF, Maaf, MMA). La forte compétitivité des centres de démontage américains s’explique par une meilleure industrialisation de ces installations, équipées d’outils plus performants.
En outre, l’homogénéité du parc automobile américain joue un rôle clé dans cette efficacité. Le marché américain est dominé par un petit nombre de constructeurs (Ford, General Motors, Toyota et Honda), ce qui entraîne une forte concentration de modèles similaires. Cette standardisation simplifie les opérations de démontage et d’extraction des pièces détachées. À l’inverse, le parc automobile européen est marqué par une grande diversité de marques et de modèles, influencée par les préférences nationales et les contraintes locales (normes d’émissions, conditions géographiques). Cette fragmentation complique la récupération systématique des pièces et limite les performances des centres européens.
Ce faible rendement s’explique par l’absence de processus standardisés et d’équipements automatisés. De plus, les démanteleurs font face à un approvisionnement peu diversifié, les véhicules accidentés présentant souvent des dommages similaires en raison de sinistres récurrents tels que les refus de priorité ou les collisions frontales sur l’avant du véhicule.
Cette homogénéité réduit la variété des pièces récupérables et aboutit à une offre essentiellement constituée des mêmes composants. En conséquence, le rendement par carcasse reste faible, limitant la valeur ajoutée du marché des pièces de réemploi.
🔴 Le manque de digitalisation : un marché déconnecté qui freine l’optimisation des stocks
À cette industrialisation limitée s’ajoute un déficit de digitalisation, qui empêche les centres de tirer pleinement parti de leur potentiel :
- Peu d’outils de priorisation : Les recycleurs disposent de peu d’outils digitaux leur permettant d’identifier en temps réel les pièces les plus demandées et les plus rentables à extraire. Ce manque de visibilité les conduit à des décisions sous-optimisées, allonge les délais d’identification et rend certaines opérations peu viables économiquement. Comme le souligne Covéa dans son livre blanc, l’absence de connaissance approfondie du marché de la PIEC, combinée à des capacités de stockage limitées, incite les recycleurs à ne pas récupérer certaines pièces pourtant revendables. Ainsi, de nombreuses ressources précieuses restent inexploitées, transformant les décharges en mines d’or dormantes.
- Une monétisation limitée des stocks : Les centres VHU peinent à valoriser efficacement leurs stocks de pièces détachées, faute d’un canal de distribution efficient. Malgré la multiplication des plateformes de revente, aucune n’a encore réussi à s’imposer comme référence sur le marché de la PIEC. Cette fragmentation complique le choix des centres VHU, limitant leur capacité à maximiser la revente de leurs pièces. Une simple recherche web “pièces automobiles issues de l’économie circulaire” révèle d’ailleurs un écosystème éclaté, toujours en structuration, mais amené à se consolider.
✅ Vers une industrialisation des centres et une exploitation optimisée des données
Bien qu’encore émergent, la filière française de la PIEC commence à se structurer pour offrir une disponibilité accrue sur le marché, portée par la mobilisation de certains leaders et le soutien de prescripteurs comme les assureurs. Des acteurs tels que GPA, spécialiste du recyclage, ou Renault, qui a créé une filiale dédiée à l’économie circulaire (The Future is neutral), constructeur engagé, contribuent chacun à leur manière à élargir l’offre de PIEC.
Par ailleurs, la logistique de la filière évolue rapidement, avec des distributeurs qui proposent désormais des services similaires à ceux offerts pour les pièces neuves. Certaines plateformes offrent des garanties à vie, renforçant ainsi la confiance des clients.
De plus, des services de livraison express en moins de 24 heures se développent, afin de concurrencer les délais ultra-rapides des pièces neuves, qui peuvent être livrées en H+1 ou H+2.
En effet certaines initiatives se démarquent pour répondre à ces défis :
- Industrialisation des recycleurs : Face à ces enjeux, plusieurs groupes de recycleurs de VHU accélèrent l’industrialisation de leurs procédés de démontage. Le groupe GPA, par exemple, a inauguré en 2022 un centre de traitement automatisé visant à maximiser la récupération des pièces et à réduire les coûts d’extraction. Avec plus de 1 700 casses automobiles en France, le déploiement d’usines de traitement automatisé semble indispensable pour démonter en masse les pièces issues des VHU. Indra Recycling, co-entreprise historique de Renault et Suez et passée récemment sous le giron exclusif du constructeur, a récemment annoncé un plan de 200 millions d’euros pour étoffer son réseau de 330 centres VHU et moderniser ses équipements de démontage.
Pionnière du recyclage des VHU en Europe, la Suède s’intéresse de près au marché français et contribue à sa modernisation, notamment à travers son leader AutoCirc, qui a racheté plusieurs centres VHU du groupe Caréco début 2023. Grâce à une réglementation nationale plus stricte, le stock de pièces a considérablement augmenté.
- Augmentation des capacités de remanufacturing : Les constructeurs portent un intérêt croissant au remanufacturing, à l’image de Renault via sa filiale The Future Is NEUTRAL, dédiée à l’économie circulaire et récemment renforcée par l’entrée de Suez à son capital.
Dans cette dynamique, le constructeur a transformé son site de Flins (78), historiquement dédié à la production de véhicules neufs, en une usine entièrement consacrée à l’économie circulaire : la première en Europe. La Refactory s’est ainsi structurée autour de quatre pôles : Re-Trofit, Re-Energy, Re-Start et Re-Cycle, ce dernier intégrant une activité dédiée au remanufacturing de pièces. En mai 2024, cette activité a pris une nouvelle dimension avec la création d’une division autonome : The Remakers.
Soutenue par un investissement de 500 millions d’euros d’ici 2030, cette entité propose neuf familles de produits et plus de 11 000 références, allant des pièces mécaniques (moteurs, boîtes de vitesse) aux composants électriques et électroniques (moteurs électriques, systèmes multimédias). En moyenne 30 % moins chères que des pièces neuves, ces solutions sont accessibles aussi bien à travers le réseau de distribution de Renault mais aussi aux distributeurs externes.
Avec le lancement en 2024 du premier moteur électrique rénové en Europe, THE REMAKERS ambitionne de capter une part significative du marché européen des pièces de remplacement, estimé à 8,2 milliards d’euros d’ici 2030 (donnée du cabinet Deloitte reprise par Renault dans un communiqué de presse).
- Digitalisation des pièces à valoriser : Opisto, l’une des principales places de marché françaises dédiées aux pièces d’occasion, a développé une application intégrant un algorithme capable d’identifier, en scannant la plaque d’immatriculation d’un véhicule, les pièces les plus rentables à démonter en fonction de la demande sur sa marketplace. Ce système de gestion (DMS), baptisé Opisto 360, illustre le rôle clé de la digitalisation dans l’amélioration de la rentabilité des centres VHU. Déjà largement adoptées dans les pays nordiques, ces technologies permettent d’optimiser l’offre de PIEC et de rendre leur exploitation plus compétitive. Aujourd’hui, 600 centres VHU sur les 1700 présents en France utilisent ce logiciel
Une supply chain à développer
🔴 Un accès encore complexe aux PIEC
Si la récupération des pièces s’améliore, leur distribution reste un défi majeur. Aujourd’hui, les acteurs du secteur doivent composer avec une offre fragmentée : les plus petits centres VHU privilégient des plateformes généralistes comme eBay ou Opisto, tandis que les plus gros réseaux de centres VHU (GPA, Indra) développent leurs propres marketplaces ou en rachètent pour maîtriser leurs canaux de distribution. Cette multiplicité d’intermédiaires entraîne un manque de lisibilité du marché, compliquant la tâche des acheteurs. Par ailleurs, la logistique représente un autre point de friction : contrairement aux pièces neuves, qui bénéficient de réseaux de distribution efficients capables de livrer en quelques heures, les PIEC souffrent d’une absence de groupements dédiés à leur livraison, rendant leur acheminement plus long et moins fiable. Les réparateurs, habitués à des délais de livraison très courts, souvent en H+2 voire H+1 pour les plus performants, sont moins enclins à adopter une solution nécessitant une anticipation moyenne de 48 heures.
Le problème d’approvisionnement génère une offre souvent décevante sur les marketplaces, avec peu de choix, voire aucune option disponible. Cela pousse les réparateurs à privilégier les pièces neuves, qui, elles, offrent un large éventail d’options.
✅ Une structuration progressive du marché et des services associés
Pour répondre à ces défis, plusieurs entreprises du secteur développent des solutions visant à mieux structurer l’offre. GPA a ainsi mis en place sa propre plateforme de vente pour centraliser la vente des pièces issues de ses centres. Indra, de son côté, a renforcé sa présence au capital d’Opisto en janvier dernier et a racheté Digipiec afin d’unifier l’accès aux pièces recyclées.
De nouvelles marketplaces émergent également avec des services complémentaires, proposant aux réparateurs une assistance dans leur sourcing, des garanties intégrées ou encore des facilités de retour. Dans cette veine, la start-up Valused, passée par le Moove Lab (accélérateur de start-ups de la mobilité basé à Station F), s’identifie comme un véritable distributeur et non une simple marketplace. La start-up propose une offre de services élargie aux professionnels de la réparation en proposant un accompagnement sur mesure, incluant la recherche de pièces grâce à son service de conciergerie, la livraison, la gestion des retours ainsi que l’intégration de la facturation. Valused a récemment levé 4 millions d’euros en Série A (Arkea Capital, NCI) pour accélérer son expansion, avec l’ambition de multiplier son chiffre d’affaires par quatre dès 2025 et de devenir une référence dans le domaine des pièces à l’échelle européenne.
Un autre acteur majeur à mentionner est Ovoko, une start-up lituanienne fondée en 2016. Ovoko a développé une plateforme hybride combinant un outil SaaS pour digitaliser les opérations des recycleurs automobiles et une marketplace destinée à connecter acheteurs et vendeurs, (modèle économique B2B/B2C). Avec un catalogue de plus de 21 millions de pièces disponibles, Ovoko s’impose comme une des première solutions “end to end” avec une logistique efficace et des standards de qualité rigoureux, incluant des garanties et un service de retour gratuit. La start-up a par ailleurs levé 20 M€ en Série B en septembre 2024 (Market One Capital, Smash Capital). L’opération a pour objectif d’accélérer en Europe et notamment en France, via sa réglementation parmi les plus favorables ainsi que de nouer des partenariats.
Des start-ups capitalisent également sur l’essor des pièces issues de l’économie circulaire (PIEC) pour trouver des relais de croissance, à l’image de Vroomly. Spécialisée dans les services aux garagistes et à leurs clients, elle a récemment développé Vroomly Pro, un logiciel de gestion tout-en-un qui automatise les tâches administratives et facilite l’approvisionnement en pièces détachées. Intégrée à cette offre, Vroomly Parts est sa marketplace dédiée à la vente de pièces détachées. En 2024, 11,2 % des ventes de pièces réalisées via Vroomly Parts provenaient de l’économie circulaire, contre seulement 0,3 % en 2021.
Avec ces acteurs innovants, l’écosystème des PIEC évolue rapidement pour offrir aux professionnels et particuliers de nouvelles solutions, durables et parfaitement adaptées aux défis de l’après-vente automobile.
Amélioration de la perception et de la confiance dans les PIEC
🔴 Une réticence historique des professionnels de la réparation et de leurs clients
Malgré les progrès réalisés, les PIEC continuent de susciter des réserves parmi les réparateurs et les automobilistes. En 2023, l’observatoire des sinistres de collision indiquait que 45 % des professionnels de la réparation demeuraient réticents à leur utilisation. Les freins invoqués incluent des préoccupations sur la qualité (70 %), la fiabilité à long terme (50 %) et la garantie de ces pièces, malgré une garantie légale de conformité de 2 ans. De plus, le manque de disponibilité reste un obstacle majeur, mentionné par 32 % des réparateurs.
Certains clients partagent également les préoccupations des réparateurs, souvent alimentées par l’image d’une performance et/ou sécurité amoindries des PIEC par rapport aux pièces neuves. Cette méfiance est renforcée par l’absence de labels ou de certifications uniformes garantissant un standard de qualité fiable.
En effet, aucun label n’existe encore pour englober toutes les pièces issues de l’économie circulaire dans un cadre strict et uniforme, parmi les certifications existantes dans l’industrie. (Qualicert, Ecovadis, ISO 9001…)
✅ Des garanties renforcées et des certifications en cours de création pour renforcer le marché
Depuis 2023, l’organisation patronale Mobilians publie un baromètre sur le déploiement des pièces issues de l’économie circulaire dans les métiers de l’entretien et de la réparation automobile. Dans son dernier baromètre de novembre 2024, l’association note une progression notable dans la connaissance et la perception des PIEC par les professionnels (réparateurs agréés, MRA, centres autos) 93 % affirment désormais connaître ou penser connaître ce qu’est une PIEC, contre seulement 65 % en septembre 2023. Par ailleurs, 72 % des réparateurs se disent favorables à la pose de PIEC, et 57 % déclarent en proposer systématiquement, marquant une progression de 10 points par rapport à l’année précédente.
Pour lever les freins à l’adoption massive des PIEC, plusieurs initiatives visent à instaurer un cadre de confiance.
- Création d’un label pour les centres VHU : Parmi celles-ci, le lancement d’un label dédié, porté par le SRA, constitue une étape clé. Présenté le 15 novembre 2024, ce label est principalement destiné aux centres VHU et vise à certifier la qualité et la traçabilité des pièces de réemploi tout en structurant la filière. Le SRA a récemment dévoilé le nom de ce nouveau label, “Recycleur Vertueux”, et a donné plus d’informations sur ses critères.
Le label s’appuiera sur plusieurs niveaux de certification, et deux critères ont été déjà définis pour évaluer les centres VHU :
- “La conformité réglementaire, incluant l’agrément VHU, l’habilitation du personnel pour le traitement des véhicules électriques et hybrides (VE/VH), ainsi que des engagements avec des éco-organismes.
- La qualité et la traçabilité des pièces, avec un cahier des charges rigoureux précisant les normes d’évaluation par famille de pièces, la digitalisation des processus et les délais de livraison optimisés.”
Le lancement officiel du label est prévu pour le second semestre 2025, avec pour ambition de transformer le réemploi automobile en une solution incontournable et compétitive.
- Initiative des recycleurs : certains recycleurs, comme Back2Car, ont mis en place des processus de contrôle stricts afin d’assurer une qualité homogène à leurs pièces. Dans cette logique, l’entreprise a également étendu sa garantie légale de 2 ans à une garantie à vie, illustrant ainsi sa confiance dans la durabilité de ses produits.
Les acteurs clés du marché qui favorisent l’adoption de la PIEC
Les assureurs jouent un rôle central dans l’adoption des PIEC dans l’industrie automobile. En tant que prescripteurs clés, ils influencent les pratiques des réparateurs et facilitent l’intégration des PIEC dans leurs réseaux. Parallèlement, les constructeurs automobiles s’impliquent activement dans cette dynamique en intégrant les PIEC dans leur chaîne de valeur. Confrontés à des obligations de décarbonation et à une pression croissante sur leur impact environnemental, ils trouvent dans les PIEC une solution innovante pour réduire leur empreinte écologique et répondre aux nouvelles exigences légales.
Le rôle de prescripteur des assureurs lors des sinistres auto
Certains assureurs, notamment mutualistes comme Covéa, MAIF et MATMUT, se distinguent par leur engagement en faveur d’une réparation plus durable. Portés par des valeurs de solidarité et de responsabilité sociale, ils perçoivent la PIEC comme une alternative vertueuse alliant impact environnemental et maîtrise des coûts
Pour lever les freins liés au coût et à la rentabilité des PIEC, les assureurs peuvent jouer un rôle clé en ajustant la répartition des marges. En prenant à leur charge une partie de l’écart de marge entre les pièces neuves et celles issues de l’économie circulaire, ils peuvent inciter davantage les réparateurs à les adopter sans pénaliser leur rentabilité. Par exemple, en rétrocédant une part plus importante de leur propre marge, les assureurs compensent la moindre marge absolue générée par une PIEC, rendant ainsi leur utilisation économiquement viable pour les réparateurs. Cette approche incitative favoriserait une adoption massive des PIEC, conciliant performance économique et engagement environnemental.
Les assureurs déploient, de ce fait, différentes stratégies pour encourager l’usage des PIEC au sein de leurs réseaux de réparateurs agréés. Le groupe mutualiste Matmut a ainsi noué un partenariat stratégique avec la start-up Valused, offrant à ses 4 000 partenaires un accès gratuit à sa plateforme afin de faciliter l’utilisation de son stock de PIEC. Par ailleurs, la Matmut encourage ses clients à privilégier les PIEC en offrant une réduction de 4 % sur la cotisation d’assurance automobile, à condition qu’elles soient utilisées dans les réparations.
De son côté, Axa, via sa filiale Prefikar, a développé Alpha Scale, sa propre plateforme de distribution de pièces détachées, avec de grandes ambitions sur le marché des PIEC.
L’engagement des constructeurs pour la décarbonation et l’optimisation des ressources de leur chaîne de valeur
Depuis l’entrée en vigueur de la Responsabilité Élargie du Producteur (REP) en janvier 2024, les constructeurs automobiles ont l’obligation de gérer le traitement des véhicules hors d’usage (VHU). La loi leur offre deux options : la gestion interne des VHU via des systèmes individuels agréés (SI) ou l’externalisation auprès d’éco-organismes. Bien que les systèmes individuels aient été largement privilégiés par les constructeurs, un seul éco-organisme, Recycler mon Véhicule, a été créé en janvier 2024. Cet éco-organisme fondé par la Chambre syndicale internationale de l’automobile et du motocycle, (SCIAM), regroupe aujourd’hui plusieurs constructeurs renommés de l’automobile et du motocycle (BMW, BYD, Ducati, Porsche…).
Si l’option du système individuel présente l’avantage majeur d’offrir une plus grande liberté aux constructeurs dans l’organisation de la gestion des VHU, elle freine l’adoption d’un système global qui pourrait structurer davantage la filière et offrir des économies d’échelle, augmentant ainsi la productivité de l’ensemble du secteur.
Renault, déjà évoqué, a renforcé sa position en créant par sa filiale The Future is Neutral et a mis en place une chaîne de valeur complète dédiée au traitement des VHU, depuis le recyclage des matériaux jusqu’à la réutilisation des pièces.
De son côté, Stellantis structure ses initiatives autour de sa stratégie Dare Forward 2030. La création de SUSTAINera, une unité dédiée à maximiser le recyclage et réduire l’impact environnemental, témoigne de cet engagement. En janvier 2024, Stellantis a inauguré Valorauto, une plateforme développée en partenariat avec Galloo, destinée à la collecte et au traitement des VHU. Cette initiative vise à maximiser la récupération de pièces réutilisables et à renforcer le recyclage, incluant les batteries des véhicules électriques, dans une logique d’économie circulaire. En 2023, les ventes de la Business Unit Economie Circulaire ont progressé de 18 % avec un objectif de générer 2 milliards de chiffres d’affaires d’ici 2030. Parmi ses initiatives phares, Stellantis a également intégré B-Parts, une plateforme leader dans la vente de pièces automobiles d’occasion. Fondée en 2015 au Portugal et acquise en 2020, B-Parts s’est imposée comme un acteur majeur sur le marché européen, répondant aux besoins des particuliers comme des professionnels. En 2021, la plateforme a enregistré une impressionnante croissance de +97 % de ses ventes, poursuivant une dynamique annuelle qui dépasse régulièrement les 100 %, à l’exception de 2020, où, malgré l’impact de la pandémie, l’entreprise a progressé de 67 %. Avec un réseau de plus de 90 démonteurs (centres VHU) et fournisseurs répartis dans 7 pays, B-Parts propose un stock de 4,5 millions de références, desservant des clients dans plus de 137 pays.
Hors de nos frontières, le constructeur japonais Toyota a récemment initié le développement de sa propre chaîne de valeur dédiée à l’économie circulaire, en se lançant dans le recyclage des véhicules hors d’usage (VHU). L’initiative, baptisée Toyota Circular Factory, a débuté au Royaume-Uni avec la création d’un site à Burnaston, prévu pour recycler 10 000 véhicules par an. Le constructeur vise à distribuer ses pièces de seconde vie à travers son réseau de concessionnaires mais également par l’intermédiaire de distributeurs indépendants.
Le 1er avril 2025, la Commission européenne a infligé une amende de 458 millions d’euros à 15 grands constructeurs automobiles et à l’ACEA pour leur participation à un cartel sur le recyclage des véhicules hors d’usage. Parmi les constructeurs pénalisés figurent BMW, Ford, Renault, Nissan, Stellantis (y compris Opel), Toyota et Volkswagen. Cette amende souligne l’intensification du contrôle sur le secteur, obligeant les entreprises à adopter des pratiques plus transparentes et efficaces en matière de recyclage. Les constructeurs seront désormais contraints de mettre en place des mesures plus strictes pour respecter les normes environnementales et l’économie circulaire.
Nos convictions envers le recours plus massif à la PIEC dans les réparations automobiles
Le marché des PIEC connaît une croissance significative en Europe. Estimé à 7 milliards d’euros en 2023, il devrait atteindre 23 milliards d’euros d’ici 2034, selon les projections de Roland Berger citées dans une récente étude Xerfi. Pourtant, en France, les PIEC ne représentent encore que 5 % des pièces utilisées dans les réparations, contre 15 à 20 % aux États-Unis, révélant un fort potentiel de développement.
Cette dynamique est renforcée par le vieillissement du parc automobile français – l’âge moyen des véhicules particuliers atteignant 12,9 ans en 2024 contre 11,5 ans en 2015 – et un besoin urgent de décarbonation de l’aftermarket. La hausse des coûts des réparations et l’amélioration progressive des garanties de qualité renforcent la pertinence des PIEC.
Un marché prometteur, mais en quête de structuration
Le marché de la PIEC est un marché en plein essor en France et en Europe. En France, il est estimé à environ 2 milliards d’euros par an, avec un potentiel de croissance estimé entre 5 à 10 % rien que d’ici 2025. L’ensemble des facteurs précédemment cités, suffisent à prouver qu’il constitue un marché d’avenir pour l’ensemble des parties prenantes.
Cependant, ce marché reste encore peu mature et souffre d’un manque de structuration de ses parties prenantes. Le marché est encore très atomisé, en attente de leaders capables d’industrialiser le démantèlement des véhicules et de proposer des outils adaptés pour associer efficacement l’offre et la demande. Cette structuration permettra de trouver un équilibre économique gagnant pour tous les acteurs de la filière (centres VHU, réparateurs, assureurs…).
Le cadre réglementaire, tant au niveau national qu’européen, incite fortement les acteurs du secteur à évoluer. L’ensemble des réglementations converge pour favoriser un recours accru à la PIEC, en faisant pression sur l’ensemble des acteurs (constructeurs, centres VHU, assureurs, concessionnaires…) pour adopter des pratiques favorisant le réemploi.
Par ailleurs, élargir l’offre de pièces de réemploi est un enjeu clé pour accélérer leur adoption. Selon le SRA, neuf familles de pièces représentent 77 % des pièces de réemploi identifiées dans les rapports d’expertise, alors qu’elles ne constituent que 37 % des pièces à remplacer. Cette concentration limite l’impact potentiel de la PIEC sur l’ensemble du marché.
Ainsi, pour que ce marché atteigne son plein potentiel, il est crucial de stimuler les investissements et l’innovation afin de permettre une véritable transition vers une économie circulaire à l’échelle industrielle.
Investir et innover pour lever les barrières à la PIEC
Un des leviers majeurs pour adresser ces défis est l’innovation technologique. L’intelligence artificielle (IA), au centre des attentions des investisseurs en ce moment, peut jouer un rôle clé dans l’identification précise des pièces et leur traçabilité, en améliorant la correspondance entre l’offre et la demande et en optimisant les processus logistiques.
Si l’écosystème des start-ups, en France comme en Europe, ne compte pas encore de leader établi dans ce domaine, certains acteurs commencent à explorer ces opportunités. Tractable, en particulier, a développé l’un des premiers outils d’IA dédiés aux recycleurs pour identifier les pièces à valoriser, optimisant ainsi la gestion des stocks et améliorant la rentabilité des opérations. Grâce à l’intelligence artificielle, cette solution automatise l’évaluation des véhicules accidentés, affine la correspondance entre l’offre et la demande de pièces et réduit significativement le temps d’inventaire.
La chaîne de valeur de la pièce de réemploi a encore besoin de technologies en amont pour fluidifier l’identification des pièces intéressantes et les connecter efficacement à la demande réelle. Des startups comme Carviz, spécialisée dans l’inspection automatisée des véhicules d’occasion grâce à l’IA, ont démontré leur capacité à scanner un véhicule en quelques minutes et à estimer avec précision l’état de chaque élément, le coût des réparations et même l’usure des pneus.
Du côté de la distribution, des acteurs comme Valused ou Ovoko, déjà cités, montrent la voie en structurant les flux de pièces. Avec des services après-vente adaptés, ils renforcent la confiance des utilisateurs dans l’adoption des PIEC. Leur principal enjeu est de nouer des partenariats solides avec les réseaux de centres VHU afin d’accéder à de plus grands stocks et d’élargir leurs gammes de pièces.
Par ailleurs, ils doivent faire face à la concurrence des marketplaces traditionnelles de pièces détachées, qui intègrent progressivement des PIEC dans leur offre. Pour se démarquer, ces start-ups doivent capitaliser sur leur agilité et enrichir leur proposition de valeur avec des services et technologies innovants, afin d’offrir une expérience plus fluide et différenciante aux professionnels et particuliers.
D’autre part, les insurtechs spécialisées dans la gestion des sinistres pourraient également élargir leur périmètre en se connectant aux marketplaces de PIEC afin de réduire le coût des réparations. Les technologies d’Intelligence Visuelle développées par des startups comme Bdeo ou Monk AI, capables d’identifier les pièces endommagées et d’évaluer les coûts de réparation, pourraient naturellement évoluer vers l’intégration du coût des pièces de réemploi dans leurs calculs, optimisant ainsi l’ensemble du processus de gestion des sinistres.
L’impact du véhicule électrique
L’essor des véhicules électriques (VE) transforme en profondeur le marché de l’aftermarket. Avec une conception plus simple, moins de pièces mécaniques et davantage de composants technologiques, il impose une nouvelle organisation du secteur.
Un moteur thermique comporte en moyenne plus de mille pièces remplaçables (embrayage, boîte de vitesses, échappement), contre une vingtaine seulement pour un VE. Cette simplification pourrait laisser penser à une réduction de la demande en pièces de réemploi classiques. Cependant, dans la pratique, les PIEC les plus couramment utilisées dans les réparations concernent principalement les éléments de carrosserie et d’extérieur – portes, capots, feux – qui ne sont pas impactés par la transition vers l’électrique. Ainsi, malgré l’évolution technologique des VE, le recours aux PIEC pour ces composants reste stable et pertinent pour le moment.
En revanche, la complexité technologique des VE entraîne un transfert des réparations vers les réseaux des constructeurs, mieux formés sur ces technologies, au détriment des réparateurs indépendants. De plus, la technicité des pièces, combinée au coût élevé des interventions en concession, fait grimper le prix des réparations, bien que les besoins d’entretien restent réduits par rapport aux véhicules thermiques.
La batterie, représentant 40 % du coût d’un VE, est un défi économique et environnemental majeur. Deux axes clés émergent :
- Réparabilité et reconditionnement : remplacement des cellules défectueuses pour prolonger la durée de vie.
- Seconde vie des batteries : stockage d’énergie pour des usages domestiques et industriels.
Au-delà de ses composants, le véhicule électrique introduit également de nouvelles méthodes de conception. Dans cette logique, le giga-casting, popularisé par Tesla et récemment adopté par Volvo, bouleverse la fabrication automobile et impacte directement le marché des pièces de rechange. En produisant des éléments structurels en un seul bloc grâce à des presses de moulage, cette technique simplifie l’assemblage pour les constructeurs, mais complique l’extraction et la réparation des pièces en cas de sinistre. Cela entraîne une augmentation des coûts pour les consommateurs et réduit les opportunités de réemploi. Face à ces défis, Stellantis a choisi de ne pas adopter cette technologie, anticipant ses effets négatifs sur le marché de l’après-vente.
Une filière efficace doit se structurer face à la volatilité des matières premières et l’évolution rapide des technologies.
The Remakers, dans le cadre de sa participation au salon Rematec à Amsterdam en avril prochain, présentera sa première solution européenne de rénovation pour véhicules électriques. Cette offre inclut la rénovation des moteurs électriques et de l’électronique de puissance, des composants parmi les plus coûteux dans un véhicule électrique. En partenariat avec Valeo et Continental, The Remakers propose une solution de rénovation de l’onduleur (Valeo) et du convertisseur (Continental), permettant de proposer des produits à qualité équivalente mais à un prix 30 % moins cher que les pièces neuves. Cette solution est aussi plus durable, avec un processus industriel qui permet de réutiliser jusqu’à 99 % du poids du moteur électrique.
Depuis la fin de 2024, plus de 1000 moteurs électriques ont été livrés et la rénovation des composants électroniques commencera à l’automne. The Remakers s’engage à offrir une alternative de qualité aux pièces originales, tout en contribuant à la transition énergétique et à l’économie circulaire.
Conclusion
L’adoption massive des pièces issues de l’économie circulaire dans la filière automobile représente une opportunité considérable, tant sur le plan environnemental qu’économique. Malgré les freins structurels et culturels actuels, plusieurs facteurs convergent pour accélérer le développement de ce marché :
- Un contexte réglementaire favorable, avec des directives européennes et des lois françaises qui encouragent l’utilisation des PIEC.
- Une pression économique croissante, due à l’inflation des coûts de réparation, qui rend les PIEC plus attractives.
- Une digitalisation et une industrialisation progressive de la filière, qui permettront d’optimiser la récupération et la distribution des pièces.
- L’engagement de grands acteurs du secteur, (industriels du démontage, constructeurs, assureurs…)
L’enjeu est désormais de soutenir cette transition en investissant dans des solutions technologiques qui permettront de :
- Optimiser l’extraction et le tri des pièces avec l’appui des technologies émergentes
- Développer des plateformes de distribution efficaces et user-friendly
- Améliorer la traçabilité et créer des labels de certification des pièces pour renforcer la confiance des consommateurs
Les investisseurs avisés qui sauront identifier et soutenir les acteurs innovants de cette filière participeront non seulement à la création de valeur économique, mais aussi à l’accélération de la transition vers une mobilité plus durable.
Paul de Lauriston, VC Analyst chez Via ID